© Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI)
Grâce à l’analyse de 35 ans de données, Thibaut Barreyre, chercheur CNRS au sein du laboratoire Geo-Ocean et ses collaborateurs de l’Ecole Normale Supérieure (ENS), de l’institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), et de la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI), ont mis en évidence les liens entre augmentation de la température des sources hydrothermales et éruption volcanique sous-marine. Les résultats de cette étude viennent d’être publiés dans la revue PNAS.
Les trois points clés :
- Cette étude est la première à analyser 35 ans de données récoltées sur 5 sources hydrothermales de l’est du Pacifique ;
- La température des sources hydrothermales fluctuent au cour du temps selon l’activité magmatique et tectonique de la croûte océanique ;
- Trois éruptions volcaniques se sont produites au cours de la période étudiée : en 1991-1992, en 2005-2006, puis en avril 2025. Cette dernière éruption, observée en direct par les scientifiques, a permis de confirmer les prévisions formulées à partir de l’analyse des données.
Les sources hydrothermales profondes forment des chaînes montagneuses volcaniques sous-marines, situées entre 500 et 5000 mètres de profondeur le long des dorsales océaniques. La rencontre entre le magma et l’eau froide des océans produit des fluides chargés en éléments chimiques, à une température pouvant dépasser 350°C. Ces systèmes complexes sont particulièrement intéressants pour les scientifiques, mais difficiles d’accès. Les instruments de mesures doivent notamment être adaptés aux conditions extrêmes de températures, de pression et d’acidité des fluides. Ces contraintes techniques ont longtemps limité les connaissances sur le long terme et empêché la collecte de données en continu.
À partir des années 1990, l’utilisation de nouveaux instruments plus performants, notamment des robots sous-marins, a permis de récolter des échantillons régulièrement et de mesurer les conditions physico-chimiques des systèmes hydrothermaux.
Pour cette étude, Thibaut Barreyre et ses collègues ont récupéré et analysé 35 ans de relevé de température des fluides émis par 5 sources hydrothermales le long de la dorsale de la zone est du Pacifique. Autre particularité, ces 5 systèmes sont situés sur des zones magmatiques qui ont connu plusieurs éruptions dont trois ont été documentées : en 1991-1992, en 2005-2006 et en avril 2025.
Des cycles de température qui se répètent
L’analyse des 35 ans de relevés a permis de montrer des variations de la température des fluides émis par les cheminées hydrothermales : entre les éruptions de 1991-1992 et 2005-2006, la température augmente progressivement, passant de 360°C à 390°C, soit un réchauffement d’environ 25°C par décennie. La température atteint son seuil critique au moment des éruptions, puis diminue rapidement, en quelques années seulement.
Début 2025, les scientifiques ont observé que les conditions étaient similaires à celles identifiées avant les deux précédentes éruptions, suggérant la possibilité d’un nouvel événement éruptif dans les mois ou l’année à venir. Ce potentiel s’est confirmé le 29 avril 2025, après la soumission de cette étude au journal : la dorsale abritant les systèmes hydrothermaux est effectivement entrée en éruption, un phénomène observé en direct par les scientifiques. Cette concordance entre les prévisions et les observations montre que la variation de la température des fluides hydrothermaux fournit des informations clés sur les cycles magmatiques des systèmes hydrothermaux de la zone est du Pacifique.
Comprendre le mécanisme du réchauffement
Afin de comprendre comment la température augmente, les scientifiques du projet ont mené des analyses complémentaires, notamment au niveau de la perméabilité de la croûte océanique. La croûte océanique est parcourue par de nombreuses fissures et des pores, qui permettent aux fluides des sources hydrothermales de circuler. Avant une éruption, le magma en expansion cause une augmentation de la pression sur la croûte océanique et sa compression, provoquant l’apparition de nouvelle fissure et donc une diminution de perméabilité. L'échange de chaleur est alors renforcé et entraîne une augmentation de la température. Une fois que le système entre en éruption, la pression exercée sur la croûte océanique est levée et la perméabilité entre la croûte et l’océan augmente, ce qui entraîne la chute de la température.
Selon les analyses de Thibaut Barreyre et son équipe, les variations de température des sources hydrothermales trahissent l'activité magmatique sous-jacente, offrant ainsi un moyen de prévoir les éruptions sous-marines.