Colloque international à l'occasion du centenaire d'Yves Bonnefoy. "Que ce monde demeure !"

Du au
À 09h00
Brest - LSH C219 le 23 de 9 à 18 heures et l'IBRBS (médecine) le 24
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colloque Yves Bonnefoy


Photo prise au début du colloque, le 23 juin 2023, par Claire Voirin-Hendrickx. De droite à gauche : Daniel Lançon, Simona Pollicino, Jean-Paul Avice (auditeur), Yvon Inizan, Jérôme Thélot, Patrick Werly, Sophie Guermès, Yves Peyré, Caroline Narracci, Jeanne Dorn, Teddy Balandraud (auditeur).

 

Programme

                     Colloque international à l’occasion du centenaire d’Yves Bonnefoy

Yves Bonnefoy. « Que ce monde demeure »

 

23 juin, Faculté des Lettres et sciences humaines, 20 rue Duquesne, salle C219.

9h30 Accueil des participants

9h45 Ouverture par Sophie Guermès 

Présidence de séance : Fabio Scotto

10h00-10h30 Daniel Lançon (U. Grenoble-Alpes) La matière de Bretagne selon Yves Bonnefoy ou la naissance de l’esprit de poésie dans la littérature française

Discussion

10h45-11h15 Jérôme Thélot (U. Lyon 3) « La tâche de l’Occident »

Discussion et pause

11h45-12h15 Patrick Werly (U. de Strasbourg) Quelques figures d’oiseaux dans l’œuvre poétique d’Yves Bonnefoy

Discussion – Déjeuner

Présidence de séance : Jérôme Thélot

14h30-15h00 Fabio Scotto (U. degli studi di Bergamo) Traduire en italien Dans le leurre du seuil, Ensemble encore et L’Écharpe rouge : quelques réflexions d’auteur

Discussion

15h15-15h45 Simona Pollicino (U. Roma Tre) Un livre de l’amitié pour saisir la beauté et la verité: Yves Bonnefoy et Farhad Ostovani dans We talked between the rooms d’Emily Dickinson

Discussion et pause

Présidence de séance : Daniel Lançon

16h15-16h45 Yvon Inizan (CPGE lycée Chateaubriand, Rennes) « La nouvelle d’un monde rédimé ou d’un monde mort »

Discussion

17h00-17h30 Yves Peyré (Bibliothèque Sainte-Geneviève) Dans la compagnie d’Yves Bonnefoy

Discussion

18h00 Table ronde sur des publications récentes : Daniel Lançon (Yves Bonnefoy, Œuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade ; Bibliographie descriptive des œuvres d’Yves Bonnefoy - 1946-2023Étude génétique d’Écrire en rêve), Fabio Scotto (le numéro 199 de Studi Francesi en hommage à Yves Bonnefoy ; 63 et 72, Rue Lepic. Deux lettres à Yves Bonnefoy), Jérôme Thélot (Yves Bonnefoy, Œuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade ; Bonnefoy et la philosophie), Patrick Werly (La Décision d’Yves Bonnefoy. Fonder sur l’épiphanie)

 

24 juin, Faculté de Médecine, IBRBS, 12, avenue Foch, salle E 306

Présidence de séance : Patrick Werly

9h15-9h45 Sophie Guermès (UBO-CECJI) « Un grand réalisme qui aggrave au lieu de résoudre »

Discussion

10h00-10h30 Sara Bonanni (UBO-CECJI/U. Roma Tre) Poétique de L’Éphémère. Correspondances autour de la revue

Discussion et pause

Présidence de séance : Simona Pollicino

11h00-11h30 Jeanne Dorn (U. Paris Ouest Nanterre) Maniérisme et réalisme dans l'histoire de l'art de Bonnefoy.

Discussion

11h45-12h15 Mathieu Hilfiger (U. de Strasbourg) Yves Bonnefoy écologiste

Discussion

12h30-13h00 Caroline Naracci (U. de Lorraine) « Le livre, pour vieillir dans la poésie d’Yves Bonnefoy ».

Discussion – Déjeuner

14h30 – 16h00 Lectures - Clôture du colloque

 

Photo: © Lucy Vines

 

Avec le soutien de l'UBO, de l'UFR des Lettres, du conseil départemental du Finistère, de Brest Métropole Océane, et du CECJI. 

Le centenaire d'Yves Bonnefoy est inscrit aux Commémorations 2023 (France Mémoire).

 

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Extrait de « La meilleure ombre » (texte paru dans Études Romain Rolland. Cahier hors-série. « Compagnons de route », sous la direction de Jean Lacoste, troisième trimestre 2021, pp. 56-60)[1]

 

[…] Aucun des écrivains qui sont mes compagnons de route n’a considéré la littérature comme un divertissement ; pour tous elle a été une expérience vitale, où le « cours de la vie » était indissociable, comme l’écrivait Philippe Jaccottet, de la « trame du texte ». Mais il en est un avec qui je partage plus encore qu’avec les autres, depuis la fin de l’adolescence, à la fois le pain et le chemin. L’évoquer ne fût-ce que brièvement me permettra peut-être d’en élucider la raison fondamentale, en dépassant le stade de l’adhésion inconditionnelle, qui se passe de raisonnement, et en laissant de côté les habituelles ressources de l’analyse littéraire.

            La rencontre décisive avec celui qui, enfant, tentait précisément de trouver « le point mystérieux, dans le pain, où la mie commence, où finit la croûte », s’est faite en deux temps.

            … J’ai environ seize ans. En sortant du lycée pour me rendre quotidiennement au cours de danse, je passe devant une vieille librairie et si j’ai du temps, j’y entre. Ceux qui la tiennent me connaissent bien et me laissent parmi les rayonnages de bois sombre. Parfois je m’assois par terre, sur le plancher – le même que celui du cours de danse – , pour mieux lire les titres sur le dos des livres. L’un d’eux, un jour, attire particulièrement mon attention car je n’en comprends pas l’intitulé. C’est un petit livre vert amande intitulé Le Personnalisme. Je l’ouvre pour savoir ce dont l’auteur parle. Emmanuel Mounier vient d’entrer dans ma vie. Il n’en est plus jamais ressorti. « Rayonnant » : c’est l’adjectif qui m’est venu à l’esprit en le lisant. Tout ce qu’il écrivait, je le portais en moi sans savoir l’exprimer. Sa philosophie a représenté exactement à mes yeux les « verres grossissants » évoqués par Proust à la fin du Temps retrouvé. La révélation d’une consubstantialité. Le personnalisme a été la route sur laquelle je m’étais engagée sans en connaître le nom et sur laquelle je suis toujours restée. Pourtant, je ne suis pas devenue philosophe. Avançant sur cette route, je me suis retrouvée peu de temps après moins à la croisée de deux chemins que sur la même route brusquement plus large ; un poète m’y attendait, il avait écrit une magnifique page sur les carrefours ; sa pensée s’accordait avec le personnalisme (le mot « personne » revient très souvent dans ses essais), et il la formulait dans un langage qui restituait la beauté de l’instant présent profondément vécu.

            … Cette fois-ci j’ai dix-huit ans, je suis en hypokhâgne et notre professeur d’anglais nous fait travailler Macbeth dans la langue d’origine bien sûr mais un jour, il nous parle d’un homme qui a, dit-il, admirablement traduit Shakespeare, et qui prépare une traduction de l’ode « À une urne grecque » de Keats dont ce professeur, lui-même parfois traducteur, pressent qu’elle sera supérieure aux autres. Il nous dit son nom : Yves Bonnefoy. Et il ajoute, comme une évidence, pensant certainement susciter une approbation qui ne vient pas car nul d’entre nous n’a entendu ce nom : « C’est le plus grand poète français vivant. » Et je me dis alors : « Il existe un ‘‘plus grand poète français vivant’’ et je ne le connais pas : non seulement je ne l’ai jamais lu mais jusqu’à présent j’ignorais même son nom. » Soucieuse de combler au plus vite cette lacune, j’achète aussitôt le volume des Poèmes qui regroupe les premiers recueils. Le début de Douve me laisse perplexe. Pendant quelques jours, je bute contre les pierres de cet univers : l’intensité est sans doute trop forte pour qu’on la soutienne d’emblée ; mais par la suite, au milieu de Pierre écrite, je reconnais mon « vrai lieu ». Il est fait de mots simples et denses ; les rythmes qui s’en dégagent restent inscrits dans la mémoire ; enfin, il donne à voir, car il est ancré dans un paysage, celui de la Haute Provence, que je connais déjà et que j’ai spontanément aimé. En classe de français, nous venons de passer trois mois sur le conte fantastique ; je me permets de faire remarquer à notre professeur que mes camarades et moi aimerions passer à autre chose. Il semble n’avoir jamais reçu de semblable requête et demande de quoi nous aimerions entendre parler. Je lui réponds avec une assurance implacable : « Yves Bonnefoy. C’est le plus grand poète français vivant. » L’orangerie, l’ordalie, la salamandre, mais aussi le myrte et le safre m’étaient déjà devenus familiers. Encore aujourd’hui, je ne peux lire aucun de ces mots sans me référer, immédiatement, aux poèmes qui les ont fait surgir.

L’un avait une foi profonde en Dieu – et suffisamment d’ouverture d’esprit pour accueillir les athées – , l’autre, en la poésie. Yves Bonnefoy avait commencé des études de philosophie, suivi les cours de Jean Wahl, d’Etienne Gilson, d’Henri-Charles Puech ; Emmanuel Mounier avait publié des essais sur des écrivains (Péguy, Bernanos, Camus…). Mounier avait été influencé par Berdiaev ; Bonnefoy rendit hommage à Chestov, qui avait écrit sur Berdiaev un essai, « La gnose et la philosophie existentielle », dont rendit compte son ami et traducteur Boris de Schloezer ; celui-ci devint à son tour un ami d’Yves Bonnefoy, qui lui adressa les lettres les plus belles et les plus affectueuses qui soient, désormais publiées. Ainsi, un fil les reliait, bien qu’Yves Bonnefoy m’ait dit un jour n’avoir pas lu Le Personnalisme. Tous deux ont mis la personne au cœur de leur œuvre. Ils ont vécu et écrit en étant constamment tournés « vers autre chose que soi » ; ils rejetaient toute conception utilitaire d’autrui ; ils ont forgé chacun une pensée qui équilibrait les rapports entre l’intérieur et l’extérieur, et refusé la superficialité, l’extériorité. « La pudeur », écrivit Mounier, « c’est le sentiment qu’a la personne de n’être pas épuisée dans ses expressions et d’être menacée dans son être par celui qui prendrait son existence manifeste pour son existence totale. » Quant à Yves Bonnefoy, il affirmait au début de L’Arrière-pays sa volonté d’ « exister, mais autrement qu’à la surface des choses ».

« Personnalisme communautaire » ; « communauté des traducteurs », « communauté des critiques » : de part et d’autre, la mise en lumière des liens entre les êtres pour bâtir un sens collectif. Mais Bonnefoy y a ajouté une dimension esthétique. On ne lit pas dans un traité philosophique :

« Imaginer

S’est déchiré dans le miroir, tournant vers nous

Sa face souriante d’argent clair. » (« Le Dialogue d’Angoisse et de Désir », V. Pierre écrite)

Lorsque l’auteur de ces vers et de bien d’autres enseigna au Collège de France, ses auditeurs l’écoutèrent aussi religieusement que les foules de croyants, à la même époque, écoutaient Jean-Paul II, ou, trois siècles et demi plus tôt, « l’oracle de la musique », Monteverdi, diriger à Saint-Marc. Il régnait une ferveur recueillie à laquelle aucun universitaire n’aurait pu prétendre ; car celui qui avait écrit Hier régnant désert, Dans le leurre du seuil ou encore L’Improbable, donnait à ceux qui affluaient vers lui une authentique raison de vivre.

            Tel est peut-être le signe distinctif du compagnon de route. Dans L’Acte et le lieu de la poésie, texte d’une conférence prononcée au Collège philosophique, Bonnefoy soutenait : « Quand nous avons à défier l’absence d’un être, le temps qui nous a dupé, le gouffre qui se creuse au cœur même de la présence, ou de l’entente, que sais-je, c’est à la parole que nous venons comme à un lieu préservé. » On pourrait, par extension, dire que les œuvres vers lesquelles on se tourne à des moments critiques de l’existence sont précisément celles qui accompagnent toute la vie. Elles constituent des refuges. On s’y abrite comme dans la moitié du manteau de saint Martin. Aucune tristesse, aucune déception ne dure, lorsqu’on fait l’expérience de la suffisance de ce qui est ; l’expérience d’une plénitude, d’une évidence sensible, de moments d’existence intensément vécus, qui font de l’immédiat une porte ouverte sur l’universel, voire, sur l’éternel. Et « l’écriture » peut ainsi « se dissipe[r], sa tâche faite ».

            Voilà comment une œuvre en particulier a cristallisé en moi intuitions et valeurs. J’ajoute qu’Yves Bonnefoy, cohérent jusqu’à son dernier souffle, ayant placé son œuvre, dans Les Tombeaux de Ravenne, sous le signe de la finitude, accueillit la mort avec autant de lucidité que de sérénité, et resta en dialogue avec ses amis jusqu’à ce qu’il perde conscience. Chantre de « l’indéfait », il suscita des adhésions indéfectibles.

                                                                                                                      Sophie Guermès

 


[1] Le titre de cet article est emprunté à Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche (Quatrième partie, « L’ombre »), cité ici dans la belle traduction de Maurice de Gandillac : « Mais derrière toi, Zarathoustra, le plus longtemps j’ai volé et couru, et si déjà de toi me suis cachée, je fus pourtant ta meilleure ombre ; en tous lieux où tu t’assis, là également me suis assise. »

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