Culture de l'écran et subjectivités intermédiatiques

Mise à jour le   09/11/2022

Responsable :
H. Machinal

 

La révolution du numérique et la théorie de l'information (Wiener) ont conduit à un tournant épistémologique dont l'origine se situerait dans la cybernétique. Nous sommes depuis passés d'une culture de la lettre et du texte à une culture de l'écran et du visuel que théorise Bertrand Gervais. Ce programme entend se pencher sur différentes facettes d'une culture contemporaine qui promeut un rapport à la technologie et aux médias peut-être pas si différente de celui qui caractérisait les siècles passés, où les savoirs, déjà interconnectés dans des espaces d’intermédialité, empruntaient cependant eux aussi des voies diverses. Déjà liées à l’image, les connaissances s’échangeaient dans l’espace des gravures des traités scientifiques, des croquis joints à une lettre, ou encore l’exposition de merveilles des premières collections privées, voire enfin dans les tableaux des peintres. Ainsi, il existerait peut-être une forme d'invariant dans la constitution d'une épistémè comme le résultat d’un tissage, au sein d’une culture plurielle marquée par son inscription dans des réseaux de sociabilité. Cette proposition de sous-axe s'inscrit par ailleurs dans une perspective socio-critique.

 

 

Pistes de recherche :
 

Rapports image/texte/audio, collection/catalogue, médias sociaux.

 

Les modes de diffusion du discours se diversifient et se métamorphosent avec l'introduction de nouvelles formes médiatiques qui consistent aussi souvent en une évolution d'une forme pré-existante vers une hybridation entre deux formes précédemment distinctes. Cependant, il sera pertinent de considérer que dès les XVIe et XVIIe siècles, le discours d’un collectionneur de curiosités, nourri aux sources des traités scientifiques, n’est pourtant pas un discours scientifique : il s’individualise pour créer une forme nouvelle de discours qui initie un rapport inédit à l’objet d’une part, au savoir d’autre part, retravaillé par une subjectivité qui revendique des choix personnels. Cette hybridation des discours perdure et semble resurgir dans le cadre de crises épistémologiques et ontologiques. On constate alors que des discours censément circonscrits à un domaine spécifique (le discours de la science par exemple) sont repris, représentés, mis en perspective, interrogés par les arts. Ainsi des expérimentations entre le scriptural, l'audio-littérature, la vidéo-littérature, le Land Art et le virtuel telles que celles qui se développent en Écosse. Dans les genres médiatisés, on pensera également à l’hybridation des ‘docu-fictions’ (« docu-soap » et « docu-drama ») et les émissions de télé-réalité deuxième vague (Geordie Shore, TOWIE, Made in Chelsea) et la télé-réalité semi-scriptée. De nouveaux rapports texte/image émergent également dans les arts visuels en général et permettent d’interroger la sémiotique à l’œuvre dans ces cas d'hybridation entre visuel et scriptural. D'un point de vue socio-critique, est-ce là le reflet médiatique d'une hybridation de plus en plus omniprésente entre virtuel et réalité ? Ou est-ce le signe d'une évolution vers un autre type de cognition ?
(Myriam Marrache-Gouraud, Joanna Thornborrow, Camille Manfredi, Hélène Machinal, Gaïd Girard)

 

Des simulacres de la réalité (Baudrillard) aux machines désirantes (Deleuze & Guattari), sans oublier le biopouvoir (Foucault), la globalisation à l’œuvre dans une société contemporaine qui tend à devenir une société écranique où les corps sont en constante connexion pose des questions politiques que Badiou ou Stiegler articulent en terme d’assujettissement. Ces rapports de pouvoir ne sont d'ailleurs pas spécifiques à l'Europe de l'Ouest contemporaine mais s'avèrent pertinents à l'époque des grandes découvertes, où le discours sur l’identité de l’autre se heurte à des résistances culturelles, induisant un rapport complexe à l’altérité qui nécessite de repenser la place de chacun dans les équilibres politiques et religieux. Le discours, tendu entre un comparatisme avec l’Ancien Monde et une reconnaissance de l’irréductible différence, instaure et sous-tend des rapports de pouvoir, qui révèlent la difficile pensée de ce miroir inversé qui nous est tendu par l’Autre. De même dans des contextes post-coloniaux aussi différents que ceux de l'Irlande, de l’Écosse ou de l'Afrique du Sud, les tensions entre le local et le global sont exacerbées et les interactions entre fiction en faction deviennent de nouveau enjeux. On retrouve aussi cette dimension politique dans les médias sociaux, avec l'exemple des journaux télévisés, où la voix du journaliste devient « auteur » (Goffman) par un mélange d’ironie et factualité qui introduit un jeu avec la réalité. Plus généralement, tout un pan de la philosophie contemporaine (Deleuze, Badiou, Braidotti, Derrida, Agamben) interroge le substrat politique et idéologique implicite au « grand nomade » qu'est devenu le capitalisme (Braidotti), entre  autres par le biais de la prolifération médiatique. Ces penseurs s'inscrivent dans « la tradition philosophique du matérialisme corporel |LS|…|RS| qui permet de « repenser la matérialité sans essentialisme » (Braidotti), approche qui permet également de dépasser les dualismes de tous ordres (corps/esprit, homme/machine, homme/femme, centre /périphérie, nature/culture).
(Myriam Marrache-Gouraud, Joanna Thornborrow, Camille Manfredi, Thierry Robin, Gaïd Girard)

Il s’agira aussi d’étudier l’impact de la culture de l'écran et des technologies de la communication (le réseau, l’écran, la numérisation de l’information et sa large diffusion) sur une conception nouvelle de l’Homme en tant que sujet. Les nouveaux régimes de sensorialité propres aux nouveaux médias ouvrent-ils sur une redéfinition de l’être-au-monde ? De nouvelles formes d’expérience émergent-elles face à la répétition machinique des flux médiatiques qui constituent désormais notre environnement quotidien ? L'un des objectif sera l'exploration de ces nouvelles formes d’expression, de discours, de relation au monde par l'analyse de la multiplication de nouvelles interfaces, ces « dispositifs » (Agamben), issus des nouvelles technologies, qui changent notre rapport aux autres et à un monde que l’on peut définir comme une écologie technique ou écotechnie (Nancy). Enfin, et sans vouloir verser dans la technophobie, il sera pertinent d'observer la tendance actuelle d'une société écranique qui semble de plus en plus tendre vers une disparition (illusoire ou non) des interfaces et induire ainsi de nouvelles formes de subjectivité et de rapport au monde. (Joanna Thornborrow, Hélène Machinal, Gaïd Girard). Le projet IBSHS de Luz pourrait aussi s'inscrire ici.