
La Bretagne offre un terrain particulièrement riche pour l’étude de la métallurgie ancienne du fer. Plus de 1 700 ateliers de production du fer y ont été recensés, s’échelonnant de l’âge du Fer jusqu’à la période moderne, dont environ 400 rien que dans le Finistère. Une vingtaine de mines sont également connues dans l’ensemble de la région.
Un programme de recherche archéologique, Archéométal-armoricain, mobilisant plusieurs partenaires scientifiques, est actuellement en cours pour documenter et analyser ces vestiges. Certains sites sont bien étudiés, comme les forges de Paimpont dans la forêt de Brocéliande (Ille-et-Vilaine), tandis que d’autres secteurs demeurent encore largement méconnus. C’est notamment le cas dans les Monts d’Arrée.
Le site de Berrien, où un ensemble minier associé à des bas fourneaux datant de l’âge du Fer a été découvert en 2022, offre l’opportunité de combler cette lacune.
Cristina Gandini, enseignante-chercheuse en archéologie au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), présente ici les premiers résultats de cette découverte prometteuse, qui éclaire d’un jour nouveau les pratiques métallurgiques anciennes et leur impact sur l’environnement.
« Notre programme de recherche porte principalement sur les lieux de production primaire, c’est-à-dire les ateliers produisant le métal brut. Les plus anciens remontent au tout début de l’âge du Fer, soit aux environs du VIIIᵉ siècle avant notre ère ». Depuis 2022, une étude de cas est en cours sur un site localisé entre Berrien et Le Cloître-Saint-Thégonnec, dans les Monts d’Arrée. Ce secteur est déjà connu des archéologues, notamment grâce aux fouilles menées dans les années 1980 sur le hameau de Goënidou, aujourd’hui ouvert au public.
La découverte du site du Briou a commencé de manière inattendue : « c’est le propriétaire du terrain qui a pris contact avec nous après avoir repéré des scories* dans l’un de ses champs. Plus exactement, c’est sa petite-fille, intriguée par « ces drôles de cailloux », qui l’a incité à chercher des explications. Après une première visite et une datation par radiocarbone* d’un fragment de charbon trouvé dans l’une des scories, l’activité du site a été rattachée au Premier âge du Fer (VIIIe - Ve siècle av. J.-C.). »
*Les scories sont des déchets provenant de la réduction de minerais de fer, témoins de la présence d’anciens ateliers.
*Méthode de datation par carbone 14.
L’Âge du Fer
L’âge du Fer est une période archéologique qui s’étend de 800 à 50 avant J.-C. Elle succède à l’âge du Bronze et précède l’Antiquité.
Cette époque se caractérise par la maîtrise de la métallurgie du fer, un matériau plus résistant que le bronze, et des progrès techniques dans de nombreux domaines. L’usage du fer permet la fabrication d’outils agricoles plus efficaces, entraînant de meilleurs rendements et des transformations notables dans les modes de vie. C’est aussi un métal clé pour la production d’armes et d’équipements militaires. Ces progrès techniques s’accompagnent de changements économiques et sociaux, notamment par l’essor des échanges à longue distance à travers l’Europe.
Repérer avant de fouiller
La découverte d’un site archéologique ne donne pas lieu à une fouille immédiate. Avant de creuser, plusieurs phases de prospection sont nécessaires pour cibler précisément les zones d’intérêt. La prospection géophysique joue ici un rôle clé : elle permet de cartographier les anomalies physiques du sous-sol à partir de mesures réalisées en surface. Couplée à l’analyse des données LiDAR fournies par l’IGN, elle aide à repérer des concentrations de vestiges enfouis. En d’autres termes, ces anomalies signalent des variations du terrain liées à la présence de structures anciennes (fosses, murs, fours, etc.). Une fois cette cartographie réalisée, certaines anomalies sont testées par sondage, afin d’en confirmer la nature et la datation.

Prospection géophysique
En juin 2024, les fouilles menées sur le site de Briou ont ainsi révélé les vestiges de huit fours ainsi que l’emplacement de deux grandes minières de près de vingt mètres de long. « Lors des prospections, nous avons identifié deux minières distinctes, encore bien visibles dans le paysage. Mais les données géophysiques et LiDAR suggèrent qu’il pourrait s’agir en réalité d’une seule grande fosse d’exploitation. »

Fouille au Briou
L’objectif de cette fouille est de reconstituer toute la chaîne opératoire, depuis l’extraction du minerai jusqu’à l’obtention du métal brut, et de replacer cet atelier dans son environnement. « Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre les savoir-faire des artisans de l’âge du Fer : les techniques d’extraction, la construction et le fonctionnement des fours, les méthodes employées et les gestes techniques. Nous avons par exemple identifié des marques d’outils sur les parois de la mine, des empreintes de doigts — ce qui est toujours émouvant — sur les cheminées en argile des fours, et retrouvé deux outils lithiques* probablement utilisés pour marteler le métal. En revanche, l’absence de céramique pourrait indiquer une activité ponctuelle et saisonnière. A l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’informations sur leurs conditions de travail. »
*L’industrie lithique désigne l’ensemble des objets en pierre transformés par les humains.
Reconstituer un site du passé
Lorsque les céramiques, habituellement précieuses pour dater un site archéologique, sont absentes, les chercheurs doivent se tourner vers d’autres indices. Cristina Gandini et son équipe mobilisent diverses méthodes scientifiques, comme la datation par carbone 14 de charbons de bois. Au-delà de cet usage, les charbons contribuent à la reconstitution du paysage ancien. « L’anthracologie, ou étude des charbons de bois, permet d’identifier les essences utilisées comme combustible dans les fours. Sur le site de Briou, nous avons retrouvé principalement du chêne, accompagné d’autres essences telles que le noisetier ou le prunier. Cela correspond probablement à l’environnement immédiat de l’atelier, en lisière de forêt. ».
Pour compléter ces données, les scientifiques ont aussi effectué des carottages dans les tourbières voisines. Ces milieux humides, où la végétation se décompose très lentement, conservent une mémoire écologique à long terme. Les résultats permettent non seulement de mieux cerner l’environnement à l’époque de l’exploitation, mais aussi d’évaluer l’impact de l’activité métallurgique sur le paysage. Par exemple, les analyses montrent qu’avant même la fin de l’Antiquité, la végétation locale se transforme : les traces de céréales augmentent, signe d’activités agricoles croissantes, tandis que la forêt tend à reculer. « Comme souvent en archéologie, il s’agit d’un travail collectif. Nous collaborons avec des spécialistes du paléoenvironnement pour reconstituer le paysage, mais aussi avec des paléométallurgistes qui analysent les résidus de production pour comprendre les procédés techniques et évaluer la qualité du métal produit. Quant aux spécialistes des datations, ils permettent d’affiner la chronologie du site. Chaque expert apporte une pièce au puzzle. »

Carotte sédimentaire
Pour approfondir la compréhension du site, son organisation et son fonctionnement, une nouvelle opération de terrain est prévue en juin 2025 : la zone de fouille sera étendue, une autre campagne de prospection géophysique sera menée et des carottages supplémentaires seront réalisés. « Le site de Briou présente une organisation complète et structurée : une zone d’extraction du minerai associée à des fours destinés à produire du métal brut. Ce métal était ensuite transformé en lingots, envoyés vers les forges situées dans les fermes ou les agglomérations pour y être travaillé afin de fabriquer des outils ou d’autres objets. »